Je suis fière de lui.
J’admire son dévouement.
Il était un révolutionnaire, un changeur.
Il avait un amour pour sa patrie.
Aujourd’hui j’aimerais honorer la mémoire du président Thomas
Sankara qui a émerveillé le monde entier de par ses convictions, son intégrité,
et de son vécu si court mais si impactant. Une personne qui aurait changé la
donne si le destin le lui avait permis. J’aimerais vous faire lire un discours
prononcé le 8 mars 1987 où il parle d’inclusion de la femme et sa place dans le développement de la société/d’un pays.
La
libération de la femme : une exigence du futur !
« Il n’est pas courant qu’un homme ait à s’adresser à tant et tant de
femmes à la fois. Il n’est pas courant non plus qu’un homme ait à suggérer à
tant et tant de femmes à la fois, les nouvelles batailles à engager.
La première timidité de l’homme lui vient dès le moment où il a conscience
qu’il regarde une femme. Aussi, camarades militantes, vous comprendrez que
malgré la joie et le plaisir que j’ai à m’adresser à vous, je reste quand même
un homme qui regarde en chacune de vous, la mère, la sœur ou l’épouse. Je
voudrais également que nos sœurs ici présentes, venues du Kadiogo, et qui ne
comprennent pas la langue française étrangère dans laquelle je vais prononcer
mon discours soient indulgentes à notre égard comme elles l’ont toujours été,
elles qui, comme nos mères, ont accepté de nous porter pendant neuf mois sans
rechigner. ( Intervention en langue nationale mooré pour assurer les femmes
qu’une traduction suivra, à leur intention.)
Camarades, la nuit de 4 août a accouché de l’œuvre la plus salutaire pour
le peuple burkinabè. Elle a donné à notre peuple un nom et à notre pays un
horizon.
Irradiés de la sève vivifiante de la liberté, les hommes burkinabè,
humiliés et proscrits d’hier, ont reçu le sceau de ce qu’il y a de plus cher au
monde : la dignité et l’honneur. Dès lors, le bonheur est devenu accessible et
chaque jour nous marchons vers lui, embaumés par les luttes, prémices qui
témoignent des grands pas que nous avons déjà réalisés. Mais le bonheur égoïste
n’est qu’illusion et nous avons une grande absente : la femme. Elle a été
exclue de cette procession heureuse.
Si des hommes sont déjà à l’orée du grand jardin de la révolution, les
femmes elles, sont encore confinées dans leur obscurité dépersonnalisante,
devisant bruyamment ou sourdement sur les expériences qui ont embrassé le
Burkina Faso et qui ne sont chez elles pour l’instant que clameurs.
Les promesses de la révolution sont déjà réalités chez les hommes. Chez les
femmes par contre, elles ne sont encore que rumeurs. Et pourtant c’est d’elles
que dépendent la vérité et l’avenir de notre révolution : questions vitales,
questions essentielles puisque rien de complet, rien de décisif, rien de
durable ne pourra se faire dans notre pays tant que cette importante partie de
nous-mêmes sera maintenue dans cet assujettissement imposé durant des siècles
par les différents systèmes d’exploitation. Les hommes et les femmes du Burkina
Faso doivent dorénavant modifier en profondeur l’image qu’ils se font
d’eux-mêmes à l’intérieur d’une société qui, non seulement, détermine de
nouveaux rapports sociaux mais provoque une mutation culturelle en bouleversant
les relations de pouvoir entre hommes et femmes, et en condamnant l’un et
l’autre à repenser la nature de chacun. C’est une tâche redoutable mais
nécessaire, puisqu’il s’agit de permettre à notre révolution de donner toute sa
mesure, de libérer toutes ses possibilités et de révéler son authentique
signification dans ces rapports immédiats, naturels, nécessaires, de l’homme et
de la femme, qui sont les rapports les plus naturels de l’être humain à l’être humain.
Voici donc jusqu’à quel point le comportement naturel de l’homme est devenu
humain et jusqu’à quel point sa nature humaine est devenue sa nature.
Cet être humain, vaste et complexe conglomérat de douleurs et de joies, de
solitude dans l’abandon, et cependant berceau créateur de l’immense humanité,
cet être de souffrance, de frustration et d’humiliation, et pourtant, source
intarissable de félicité pour chacun de nous ; lieu incomparable de toute
affection, aiguillon des courages même les plus inattendus ; cet être dit
faible mais incroyable force inspiratrice des voies qui mènent à l’honneur ;
cet être, vérité chamelle et certitude spirituelle, cet être-là, femmes, c’est
vous ! Vous, berceuses et compagnes de notre vie, camarades de notre lutte, et
qui de ce fait, en toute justice, devez vous imposer comme partenaires égales
dans la convivialité des festins des victoires de la révolution.
C’est sous cet éclairage que tous, hommes et femmes, nous nous devons de
définir et d’affirmer le rôle et la place de la femme dans la société.
Il s’agit donc de restituer à l’homme sa vraie image en faisant triompher
le règne de la liberté par-delà les différenciations naturelles, grâce à la
liquidation de tous les systèmes d’hypocrisie qui consolident l’exploitation cynique
de la femme.
En d’autres termes, poser la question de la femme dans la société burkinabè
d’aujourd’hui, c’est vouloir abolir le système d’esclavage dans lequel elle a
été maintenue pendant des millénaires. C’est d’abord vouloir comprendre ce
système dans son fonctionnement, en saisir la vraie nature et toutes ses
subtilités pour réussir à dégager une action susceptible de conduire à un
affranchissement total de la femme.
Autrement dit, pour gagner un combat qui est commun à la femme et à
l’homme, il importe de connaître tous les contours de la question féminine tant
à l’échelle nationale qu’universelle et de comprendre comment, aujourd’hui, le
combat de la femme, burkinabè rejoint le combat universel de toutes les femmes,
et au-delà, le combat pour la réhabilitation totale de notre continent.
La condition de la femme est par conséquent le nœud de toute la question
humaine, ici, là-bas, partout. Elle a donc un caractère universel.
La lutte de classes et la question de la femme.
Nous devons assurément au matérialisme dialectique d’avoir projeté sur les
problèmes de la condition féminine la lumière la plus forte, celle qui nous
permet de cerner le problème de l’exploitation de la femme à l’intérieur d’un
système généralisé d’exploitation. Celle aussi qui définit la société humaine
non plus comme un fait naturel immuable mais comme une antiphysis.
L’humanité ne subit pas passivement la puissance de la nature. Elle la
prend à son compte. Cette prise en compte n’est pas une opération intérieure et
subjective. Elle s’effectue objectivement dans la pratique, si la femme cesse
d’être considérée comme un simple organisme sexué, pour prendre conscience
au-delà des données biologiques, de sa valeur dans l’action.
En outre, la conscience que la femme prend d’elle-même n’est pas définie
par sa seule sexualité. Elle reflète une situation qui dépend de la structure
économique de la société, structure qui traduit le degré de l’évolution
technique et des rapports entre classes auquel est parvenue l’humanité.
L’importance du matérialisme dialectique est d’avoir dépassé les limites
essentielles de la biologie, d’avoir échappé aux thèses simplistes de
l’asservissement à l’espèce, pour introduire tous les faits dans le contexte
économique et social. Aussi loin que remonte l’histoire humaine, l’emprise de
l’homme sur la nature ne s’est jamais réalisée directement, le corps nu. La
main avec son pouce préhensif déjà se prolonge vers l’instrument qui multiplie
son pouvoir. Ce ne sont donc pas les seules données physiques, la musculature,
la parturition par exemple, qui ont consacré l’inégalité de statut entre
l’homme et la femme. Ce n’est pas non plus l’évolution technique en tant que
telle qui l’a confirmée. Dans certains cas, et dans certaines parties du globe,
la femme a pu annuler la différence physique qui la sépare de l’homme.
C’est le passage d’une forme de société à une autre qui justifie
l’institutionnalisation de cette inégalité. Une inégalité sécrétée par l’esprit
et par notre intelligence pour réaliser la domination et l’exploitation
concrétisées, représentées et vécues désormais par les fonctions et les rôles
auxquels nous avons soumis la femme.
La maternité, l’obligation sociale d’être conforme aux canons de ce que les
hommes désirent comme élégance, empêchent la femme qui le désirerait de se
forger une musculature dite d’homme.
Pendant des millénaires, du paléolithique à l’âge du bronze, les relations
entre les sexes furent considérées par les paléontologues les plus qualifiés de
complémentarité positive. Ces rapports demeurèrent pendant huit millénaires
sous l’angle de la collaboration et de l’interférence, et non sous celui de
l’exclusion propre au patriarcat absolu à peu près généralisé à l’époque
historique !
Engels a fait l’état de l’évolution des techniques mais aussi de
l’asservissement historique de la femme qui naquit avec l’apparition de la
propriété privée, à la faveur du passage d’un mode de production à un autre,
d’une organisation sociale à une autre.
Avec le travail intensif exigé pour défricher la forêt, faire fructifier
les champs, tirer au maximum parti de la nature, intervient la parcellisation
des tâches. L’égoïsme, la paresse, la facilité, bref le plus grand profit pour
le plus petit effort émergent des profondeurs de l’homme et s’érigent en
principes. La tendresse protectrice de la femme à l’égard de la famille et du
clan devient le piège qui la livre à la domination du mâle. L’innocence et la
générosité sont victimes de la dissimulation et des calculs crapuleux. L’amour
est bafoué. La dignité est éclaboussée. Tous les vrais sentiments se
transforment en objets de marchandage. Dès lors, le sens de l’hospitalité et du
partage des femmes succombe à la ruse des fourbes.
Quoique consciente de cette fourberie qui régit la répartition inégale des
tâches, elle, la femme, suit l’homme pour soigner et élever tout ce qu’elle
aime. Lui, l’homme, surexploite tant de don de soi. Plus tard, le germe de
l’exploitation coupable installe des règles atroces, dépassant les concessions
conscientes de la femme historiquement trahie.
L’humanité connaît l’esclavage avec la propriété privée. L’homme maître de
ses esclaves et de la terre devient aussi propriétaire de la femme. C’est là la
grande défaite historique du sexe féminin. Elle s’explique par le
bouleversement survenu dans la division du travail, du fait de nouveaux modes
de production et d’une révolution dans les moyens de production.
Alors le droit paternel se substitue au droit maternel ; la transmission du
domaine se fait de père en fils et non plus de la femme à son clan. C’est
l’apparition de la famille patriarcale fondée sur la propriété personnelle et
unique du père, devenu chef de famille. Dans cette famille, la femme est
opprimée. Régnant en souverain, l’homme assouvit ses caprices sexuels,
s’accouple avec les esclaves ou hétaïres. Les femmes deviennent son butin et
ses conquêtes de marché. Il tire profit de leur force de travail et jouit de la
diversité du plaisir qu’elles lui procurent.
De son côté dès que les maîtres rendent la réciproque possible, la femme se
venge par l’infidélité. Ainsi le mariage se complète naturellement par
l’adultère. C’est la seule défense de la femme contre l’esclavage domestique où
elle est tenue. L’oppression sociale est ici l’expression de l’oppression
économique.
Dans un tel cycle de violence, l’inégalité ne prendra fin qu’avec
l’avènement d’une société nouvelle, c’est-à-dire lorsque hommes et femmes
jouiront de droits sociaux égaux, issus de bouleversements intervenus dans les
moyens de production ainsi que dans tous les rapports sociaux. Aussi le sort de
la femme ne s’améliorera-t-il qu’avec la liquidation du système qui l’exploite.
De fait, à travers les âges et partout où triomphait le patriarcat, il y a
eu un parallélisme étroit entre l’exploitation des classes et la domination des
femmes ; Certes, avec des périodes d’éclaircies où des femmes, prêtresses ou
guerrières ont crevé la voûte oppressive. Mais l’essentiel, tant au niveau de
la pratique quotidienne que dans la répression intellectuelle et morale, a
survécu et s’est consolidé. Détrônée par la propriété privée, expulsée
d’elle-même, ravalée au rang de nourrice et de servante, rendue inessentielle
par les philosophies Aristote, Pythagore et autres et les religions les plus
installées, dévalorisée par les mythes, la femme partageait le sort de
l’esclave qui dans la société esclavagiste n’était qu’une bête de somme à face
humaine.
Rien d’étonnant alors que, dans sa phase conquérante, le capitalisme, pour
lequel les êtres humains n’étaient que des chiffres, ait été le système économique
qui a exploité la femme avec le plus de cynisme et le plus de raffinement.
C’était le cas, rapporte-t-on, chez ce fabricant de l’époque, qui n’employait
que des femmes à ses métiers à tisser mécaniques. Il donnait la préférence aux
femmes mariées et parmi elles, à celles qui avaient à la maison de la famille à
entretenir, parce qu’elles montraient beaucoup plus d’attention et de docilité
que les célibataires. Elles travaillaient jusqu’à l’épuisement de leurs forces
pour procurer aux leurs les moyen subsistance indispensables.
C’est ainsi que les qualités propres de la femme sont faussées à son
détriment, et tous les éléments moraux et délicats de sa nature deviennent des
moyens de l’asservir. Sa tendresse, l’amour de la famille, la méticulosité
qu’elle apporte à son œuvre sont utilisés contre elle, tout en se parant contre
les défauts qu’elle peut avoir.
Ainsi, à travers les âges et à travers les types de sociétés, la femme a
connu un triste sort : celui de l’inégalité toujours confirmée par rapport à l’homme.
Que les manifestations de cette inégalité aient pris des tours et contours
divers, cette inégalité n’en est pas moins restée la même.
Dans la société esclavagiste, l’homme esclave était considéré comme un
animal, un moyen de production de biens et de services. La femme, quel que fût
son rang, était écrasée à l’intérieur de sa propre classe, et hors de cette
classe même pour celles qui appartenaient aux classes exploiteuses.
Dans la société féodale, se basant sur la prétendue faiblesse physique ou
psychologique des femmes, les hommes les ont confinées dans une dépendance
absolue de l’homme. Souvent considérée comme objet de souillure ou principal
agent d’indiscrétion, la femme, à de rares exceptions près, était écartée des
lieux de culte.
Dans la société capitaliste, la femme, déjà moralement et socialement
persécutée, est également économiquement dominée. Entretenue par l’homme
lorsqu’elle ne travaille pas, elle l’est encore lorsqu’elle se tue à
travailler. On ne saurait jeter assez de lumière vive sur la misère des femmes,
démontrer avec assez de force qu’elle est solidaire de celle des prolétaires.
De la
spécificité du fait féminin.
Solidaire de l’homme exploité, la femme l’est.
Toutefois, cette solidarité dans l’exploitation sociale dont hommes et femmes
sont victimes et qui lie le sort de l’un et de l’autre à l’Histoire, ne doit
pas faire perdre de vue le fait spécifique de la condition féminine. La
condition de la femme déborde les entités économiques en singularisant
l’oppression dont elle est victime. Cette singularité nous interdit d’établir
des équations en nous abîmant dans les réductions faciles et infantiles. Sans
doute, dans l’exploitation, la femme et l’ouvrier sont-ils tenus au silence.
Mais dans le système mis en place, la femme de l’ouvrier doit un autre silence
à son ouvrier de mari. En d’autres termes, à l’exploitation de classe qui leur
est commune, s’ajoutent pour les femmes, des relations singulières avec
l’homme, relations d’opposition et d’agression qui prennent prétexte des différences
physiques pour s’imposer.
Il faut admettre que l’asymétrie entre les sexes est ce qui caractérise la
société humaine, et que cette asymétrie définit des rapports souverains qui ne
nous autorisent pas à voir d’emblée dans la femme, même au sein de la production
économique, une simple travailleuse. Rapports privilégiés, rapports périlleux
qui font que la question de la condition de la femme se pose toujours comme un
problème.
L’homme prend donc prétexte la complexité de ces rapports pour semer la
confusion au sein des femmes et tirer profit de toutes les astuces de
l’exploitation de classe pour maintenir sa domination sur les femmes. De cette
même façon, ailleurs, des hommes ont dominé d’autres hommes parce qu’ils ont
réussi à imposer l’idée selon laquelle au nom de l’origine de la famille et de
la naissance, du « droit divin », certains hommes étaient supérieurs à
d’autres. D’où le règne féodal. De cette même manière, ailleurs, d’autres
hommes ont réussi à asservir des peuples entiers, parce que l’origine et
l’explication de la couleur de leur peau ont été une justification qu’ils ont
voulue « scientifique » pour dominer ceux qui avaient le malheur d’être d’une
autre couleur. C’est le règne colonial. C’est l’apartheid.
Nous ne pouvons pas ne pas être attentifs à cette situation des femmes, car
c’est elle qui pousse les meilleures d’entre elles à parler de guerre des sexes
alors qu’il s’agit d’une guerre de clans et de classes à mener ensemble dans la
complémentarité tout simplement. Mais il faut admettre que c’est bien
l’attitude des hommes qui rend possible une telle oblitération des
significations et autorise par là toutes les audaces sémantiques du féminisme
dont certaines n’ont pas été inutiles dans le combat qu’hommes et femmes mènent
contre l’oppression. Un combat que nous pouvons gagner, que nous allons gagner
si nous retrouvons notre complémentarité, si nous nous savons nécessaires et
complémentaires, si nous savons enfin que nous sommes condamnés à la
complémentarité.
Pour l’heure, force est de reconnaître que le comportement masculin, fait
de vanités, d’irresponsabilités, d’arrogances et de violences de toutes sortes
à l’endroit de la femme, ne peut guère déboucher sur une action coordonnée
contre l’oppression de celle-ci. Et que dire de ces attitudes qui vont jusqu’à
la bêtise et qui ne sont en réalité qu’exutoires des mâles opprimés espérants,
par leurs brutalités contre leur femme, récupérer pour leur seul compte une
humanité que le système d’exploitation leur dénie.
La bêtise masculine s’appelle sexisme ou machisme, toute forme d’indigence
intellectuelle et morale, voire d’impuissance physique plus ou moins déclarée
qui oblige souvent les femmes politiquement conscientes à considérer comme un
devoir la nécessité de lutter sur deux fronts.
Pour lutter et vaincre, les femmes doivent s’identifier aux couches et
classes sociales opprimées : les ouvriers, les paysans…
Un homme, si opprimé soit-il, trouve un être à opprimer : sa femme. C’est
là assurément affirmer une terrible réalité. Lorsque nous parlons de l’ignoble
système de l’apartheid, c’est vers les Noirs exploités et opprimés que se
tournent et notre pensée et notre émotion. Mais nous oublions hélas la femme
noire qui subit son homme, cet homme qui, muni de son passbook
(laisser-passer), s’autorise des détours coupables avant d’aller retrouver
celle qui l’a attendu dignement, dans la souffrance et dans le dénuement.
Pensons aussi à la femme blanche d’Afrique du Sud, aristocrate,
matériellement comblée sûrement, mais malheureusement machine de plaisir de ces
hommes blancs lubriques qui n’ont plus pour oublier leurs forfaits contre les
Noirs que leur enivrement désordonné et pervers de rapports sexuels bestiaux.
En outre, les exemples ne manquent pas d’hommes pourtant progressistes,
vivant allègrement d’adultère, mais qui seraient prêts à assassiner leur femme
rien que pour un soupçon d’infidélité. Ils sont nombreux chez nous, ces hommes
qui vont chercher des soi-disant consolations dans les bras de prostituées et
de courtisanes de toutes sortes ! Sans oublier les maris irresponsables dont
les salaires ne servent qu’à entretenir des maîtresses et enrichir des débits
de boisson. Et que dire de ces petits hommes eux aussi progressistes qui se
retrouvent souvent dans une ambiance lascive pour parler des femmes dont ils
ont abusé. Ils croient ainsi se mesurer à leurs semblables hommes, voire les
humilier quand ils ravissent des femmes mariées.
En fait, il ne s’agit là que de lamentables mineurs dont nous nous serions
même abstenus de parler si leur comportement de délinquants ne mettait en cause
et la vertu et la morale de femmes de grande valeur qui auraient été hautement
utiles à notre révolution.
Et puis tous ces militants plus ou moins révolutionnaires, beaucoup moins
révolutionnaires que plus, qui n’acceptent pas que leurs épouses militent ou ne
l’acceptent que pour le militantisme de jour et seulement de jour ; qui battent
leurs femmes parce qu’elles se sont absentées pour des réunions ou des
manifestations de nuit. Ah ! ces soupçonneux, ces jaloux ! Quelle pauvreté
d’esprit et quel engagement conditionnel, limité ! Car n’y aurait-il que la
nuit qu’une femme déçue et décidée puisse tromper son mari ? Et quel est cet
engagement qui veut que le militantisme s’arrête avec la tombée de la nuit,
pour ne reprendre ses droits et ses exigences que seulement au lever du jour !
Et que penser enfin de tous ces propos dans la bouche des militants plus
révolutionnaires, les uns que les autres sur les femmes ? Des propos comme «
bassement matérialistes, profiteuses, comédiennes, menteuses cancanières,
intrigantes, jalouses etc, etc… » Tout cela est peut-être vrai des femmes mais
sûrement aussi vrai pour les hommes ! Notre société pourrait-elle pervertir
moins que cela lorsque avec méthode, elle accable les femmes, les écarte de
tout ce qui est censé être sérieux, déterminant, c’est-à-dire au-dessus des
relations subalternes et mesquines !
Lorsque l’on est condamné comme les femmes le sont à attendre son maître de
mari pour lui donner à manger, et recevoir de lui l’autorisation de parler et
de vivre, on n’a plus, pour s’occuper et se créer une illusion d’utilité ou
d’importance, que les regards, les reportages, les papotages, les jeux de
ferraille, les regards obliques et envieux suivis de médisance sur la
coquetterie des autres et leur vie privée. Les mêmes attitudes se retrouvent
chez les mâles placés dans les mêmes conditions.
Des femmes, nous disons également, hélas qu’elles sont oublieuses. On les
qualifie même de têtes de linottes. N’oublions jamais cependant qu’accaparée,
voire tourmentée par l’époux léger, le mari infidèle et irresponsable, l’enfant
et ses problèmes, accablée enfin par l’intendance de toute la famille, la
femme, dans ces conditions, ne peut avoir que des yeux hagards qui reflètent
l’absence, et la distraction de l’esprit. L’oubli, pour elle, devient un
antidote à la peine, une atténuation des rigueurs de l’existence, une
protection vitale.
Mais des hommes oublieux, il y en a aussi, et beaucoup ; les uns dans
l’alcool et les stupéfiants, les autres dans diverses formes de perversité
auxquelles ils s’adonnent dans la course de la vie. Cependant, personne ne dit
jamais que ces hommes-là sont oublieux. Quelle vanité, quelles banalités !
Banalités dont ils se gargarisent pour marquer ces infirmités de l’univers
masculin. Car l’univers masculin dans une société d’exploitation a besoin de
femmes prostituées ; Celles que l’on souille et que l’on sacrifie après usage
sur l’autel de la prospérité d’un système de mensonges et de rapines, ne sont
que des boucs émissaires.
La prostitution n’est que la quintessence d’une société où l’exploitation
est érigée en règle. Elle symbolise le mépris que l’homme a de la femme. De
cette femme qui n’est autre que la figure douloureuse de la mère, de la sœur ou
de l’épouse d’autres hommes, donc de chacun de nous. C’est en définitive, le
mépris inconscient que nous avons de nous-mêmes. Il n’y a de prostituées que là
où existent des « prostitueurs » et des proxénètes.
Mais qui donc va chez la prostituée ?
Il y a d’abord des maris qui vouent leurs épouses à la chasteté pour
décharger sur la prostituée leur turpitude et leurs désirs de stupres. Cela
leur permet d’accorder un respect apparent à leurs épouses tout en révélant
leur vraie nature dans le giron de la fille dite de joie. Ainsi sur le plan
moral, on fait de la prostitution le symétrique du mariage. On semble s’en
accommoder, dans les rites et coutumes, les religions et les morales. C’est ce
que les pères de l’Église exprimaient en disant qu’« il faut des égouts pour
garantir la salubrité des palais ».
Il y a ensuite les jouisseurs impénitents et intempérants qui ont peur
d’assumer la responsabilité d’un foyer avec ses turbulences et qui fuient les
charges morales et matérielles d’une paternité. Ils exploitent alors l’adresse discrète
d’une maison close comme le filon précieux d’une liaison sans conséquences.
Il y a aussi la cohorte de tous ceux qui, publiquement du moins et dans les
lieux bien pensants, vouent la femme aux gémonies. Soit par un dépit qu’ils
n’ont pas eu le courage de transcender, perdant confiance ainsi en toute femme
déclarée alors instrumentum diabolicum, soit également par hypocrisie pour
avoir trop souvent et péremptoirement proclamé contre le sexe féminin un mépris
qu’ils s’efforcent d’assumer aux yeux de la société dont ils ont extorqué
l’admiration par la fausse vertu. Tous nuitamment échouent dans les lupanars de
manière répétée jusqu’à ce que parfois leur tartufferie soit découverte.
Il y a encore cette faiblesse de l’homme que l’on retrouve dans sa recherche
de situations polyandriques. Loin de nous, toute idée de jugement de valeur sur
la polyandrie, cette forme de rapport entre l’homme et la femme que certaines
civilisations ont privilégiée. Mais dans les cas que nous dénonçons, retenons
ces parcs de gigolos cupides et fainéants qu’entretiennent grassement de riches
dames.
Dans ce même système, au plan économique la prostitution peut confondre
prostituée et femme mariée « matérialiste ». Entre celle qui vend son corps par
la prostitution et celle qui se vend dans le mariage, la seule différence
consiste dans le prix et la durée du contrat.
Ainsi en tolérant l’existence de la prostitution, nous ravalons toutes nos
femmes au même rang : prostituées ou mariées. La seule différence est que la
femme légitime tout en étant opprimée en tant qu’épouse bénéficie au moins du
sceau de l’honorabilité que confère le mariage. Quant à la prostituée, il ne
reste plus que l’appréciation marchande de son corps, appréciation fluctuant au
gré des valeurs des bourses phallocratiques.
N’est-elle qu’un article qui se valorise ou se dévalorise en fonction du
degré de flétrissement de ses charmes ? N’est-elle pas régie par la loi de
l’offre et de la demande ? La prostitution est un raccourci tragique et
douloureux de toutes les formes de l’esclavage féminin. Nous devons par
conséquent voir dans chaque prostituée le regard accusateur braqué sur la
société tout entière. Chaque proxénète, chaque partenaire de prostituée remue
un couteau dans cette plaie purulente et béante qui enlaidit le monde des
hommes et le conduit à sa perte. Aussi, en combattant la prostitution, en
tendant une main secourable à la prostituée, nous sauvons nos mères, nos sœurs
et nos femmes de cette lèpre sociale. Nous nous sauvons nous-mêmes. Nous
sauvons le monde.
La condition de
la femme au Burkina.
Si dans l’entendement de la société, le garçon qui naît est un « don de
Dieu », la naissance d’une fille est accueillie, sinon comme une fatalité, au
mieux comme un présent qui servira à produire des aliments et à reproduire le
genre humain.
Au petit homme l’on apprendra à vouloir et à obtenir, à dire et être servi,
à désirer et prendre, à décider sans appel. A la future femme, la société,
comme un seul homme et c’est bien le lieu de le dire assène, inculque des normes
sans issue. Des corsets psychiques appelés vertus créent en elle un esprit
d’aliénation personnelle, développent dans cette enfant la préoccupation de
protection et la prédisposition aux alliances tutélaires et aux tractations
matrimoniales. Quelle fraude mentale monstrueuse !
Ainsi, enfant sans enfance, la petite fille, dès l’âge de 3 ans, devra
répondre à sa raison d’être : servir, être utile. Pendant que son frère de 4, 5
ou 6 ans jouera jusqu’à l’épuisement ou l’ennui, elle entrera, sans ménagement,
dans le processus de production. Elle aura, déjà, un métier :
assistante-ménagère. Occupation sans rémunération bien sûr car ne dit-on pas
généralement d’une femme à la maison qu’elle « ne fait rien ? ». N’inscrit-on
pas sur les documents d’identité des femmes non rémunérées la mention «
ménagère » pour dire que celles-ci n’ont pas d’emploi ? Qu’elles « ne
travaillent pas ? ».
Les rites et les obligations de soumission aidant, nos sœurs grandissent,
de plus en plus dépendantes, de plus en plus dominées, de plus en plus
exploitées avec de moins en moins de loisirs et de temps libre.
Alors que le jeune homme trouvera sur son chemin les occasions de
s’épanouir et de s’assumer, la camisole de force sociale enserrera davantage la
jeune fille, à chaque étape de sa vie. Pour être née fille, elle paiera un
lourd tribut, sa vie durant, jusqu’à ce que le poids du labeur et les effets de
l’oubli de soi physiquement et mentalement la conduisent au jour du Grand
repos. Facteur de production aux côtés de sa mère dès ce moment, plus sa
patronne que sa maman elle ne sera jamais assise à ne rien faire, jamais
laissée, oubliée à ses jeux et à ses jouets comme lui, son frère.
De quelque côté que l’on se tourne, du Plateau central au Nord-Est où les
sociétés à pouvoir fortement centralisé prédominent, à l’Ouest où vivent des
communautés villageoises au pouvoir non centralisé ou au Sud-Ouest, terroir des
collectivités dites segmentaires, l’organisation sociale traditionnelle
présente au moins un point commun : la subordination des femmes. Dans ce
domaine, nos 8 000 villages, nos 600 000 concessions et notre million et plus
de ménages, observent des comportements identiques ou similaires. Ici et là,
l’impératif de la cohésion sociale définie par les hommes est la soumission des
femmes et la subordination des cadets.
Notre société, encore par trop primitivement agraire, patriarcale et
polygamique, faite de la femme un objet d’exploitation pour sa force de travail
et de consommation, pour sa fonction de reproduction biologique.
Comment la femme vit-elle cette curieuse double identité : celle d’être le
nœud vital qui soude tous les membres de la famille, qui garantit par sa
présence et son attention l’unité fondamentale et celle d’être marginalisée,
ignorée ? Une condition hybride s’il en est, dont l’ostracisme imposé n’a
d’égal que le stoïcisme de la femme. Pour vivre en harmonie avec la société des
hommes, pour se conformer au diktat des hommes, la femme s’enferrera dans une
ataraxie avilissante, négativiste, par le don de soi.
Femme-source de vie mais femme-objet. Mère mais servile domestique.
Femme-nourricière mais femme-alibi. Taillable aux champs et corvéable au
ménage, cependant figurante sans visage et sans voix. Femme-charnière,
femme-confluent mais femme en chaînes, femme-ombre à l’ombre masculine.
Pilier du bien-être familial, elle est accoucheuse, laveuse, balayeuse,
cuisinière, messagère, matrone, cultivatrice, guérisseuse, maraîchère, pileuse,
vendeuse, ouvrière. Elle est une force de travail à l’outil désuet, cumulant
des centaines de milliers d’heures pour des rendements désespérants.
Déjà aux quatre fronts du combat contre la maladie, la faim, le dénuement,
la dégénérescence, nos sœurs subissent chaque jour la pression des changements
sur lesquels elles n’ont point de prise. Lorsque chacun de nos 800 000
émigrants mâles s’en va, une femme assume un surcroît de travail. Ainsi, les
deux millions de Burkinabé résidant hors du territoire national ont contribué à
aggraver le déséquilibre de la sex-ratio qui, aujourd’hui, fait que les femmes
constituent 51,7 pour cent de la population totale. De la population résidante
potentiellement active, elles sont 52,1 pour cent.
Trop occupée pour accorder l’attention voulue à ses enfants, trop épuisée
pour penser à elle-même, la femme continuera de trimer : roue de fortune, roue
de friction, roue motrice, roue de secours, grande roue.
Rouées et brimées, les femmes, nos sœurs et nos épouses, paient pour avoir
donné la vie. Socialement reléguées au troisième rang, après l’homme et
l’enfant, elles paient pour entretenir la vie. Ici aussi, un Tiers Monde est
arbitrairement arrêté pour dominer, pour exploiter.
Dominée et transférée d’une tutelle protectrice exploiteuse à une tutelle
dominatrice et davantage exploiteuse, première à la tâche et dernière au repos,
première au puits et au bois, au feu du foyer mais dernière à étancher ses
soifs, autorisée à manger que seulement quand il en reste ; et après l’homme,
clé de voûte de la famille, tenant sur ses épaules, dans ses mains et par son
ventre cette famille et la société, la femme est payée en retour d’idéologie
nataliste oppressive, de tabous et d’interdits alimentaires, de surcroît de
travail, de malnutrition, de grossesses dangereuses, de dépersonnalisation et
d’innombrables autres maux qui font de la mortalité maternelle une des tares
les plus intolérables, les plus indicibles, les plus honteuses de notre
société.
Sur ce substrat aliénant, l’intrusion des rapaces venus de loin a contribué
à fermenter la solitude des femmes et à empirer la précarité de leur condition.
L’euphorie de l’indépendance a oublié la femme dans le lit des espoirs
châtrés. Ségréguée dans les délibérations, absente des décisions, vulnérable
donc victime de choix, elle a continué de subir la famille et la société. Le
capital et la bureaucratie ont été de la partie pour maintenir la femme
subjuguée. L’impérialisme a fait le reste.
Scolarisées deux fois moins que les hommes, analphabètes à 99 pour cent,
peu formées aux métiers, discriminées dans l’emploi, limitées aux fonctions subalternes,
harcelées et congédiées les premières, les femmes, sous les poids de cent
traditions et de mille excuses ont continué de relever les défis successifs.
Elles devaient rester actives, coûte que coûte, pour les enfants, pour la
famille et pour la société. Au travers de mille nuits sans aurores.
Le capitalisme avait besoin de coton, de karité, de sésame pour ses
industries et c’est la femme, ce sont nos mères qui en plus de ce qu’elles
faisaient déjà se sont retrouvées chargées d’en réaliser la cueillette. Dans
les villes, là où était censée être la civilisation émancipatrice de la femme,
celle-ci s’est retrouvée obligée de décorer les salons de bourgeois, de vendre
son corps pour vivre ou de servir d’appât commercial dans les productions
publicitaires.
Les femmes de la petite-bourgeoisie des villes vivent sans doute mieux que
les femmes de nos campagnes sur le plan matériel. Mais sont-elles plus libres,
plus émancipées, plus respectées, plus responsabilisées ? Il y a plus qu’une
question à poser, il y a une affirmation à avancer. De nombreux problèmes
demeurent, qu’il s’agisse de l’emploi ou de l’accès à l’éducation, qu’il
s’agisse du statut de la femme dans les textes législatifs ou dans la vie
concrète de tous les jours, la femme burkinabè demeure encore celle qui vient
après l’homme et non en même temps.
Les régimes politiques néo-coloniaux qui se sont succédés au Burkina n’ont
eu de la question de l’émancipation de la femme que son approche bourgeoise qui
n’est que l’illusion de liberté et de dignité. Seules les quelques femmes de la
petite-bourgeoisie des villes étaient concernées par la politique à la mode de
la « condition féminine » ou plutôt du féminisme primaire qui revendique pour
la femme le droit d’être masculine. Ainsi la création du ministère de la
Condition féminine, dirigée par une femme fut-elle chantée comme une victoire.
Mais avait-on vraiment conscience de cette condition féminine ? Avait-on
conscience que la condition féminine c’est la condition de 52 pour cent de la
population burkinabè ? Savait-on que cette condition était déterminée par les
structures sociales, politiques, économiques et par les conceptions rétrogrades
dominantes et que par conséquent la transformation de cette condition ne
saurait incomber à un seul ministère, fût-il dirigé par une femme ?
Cela est si vrai que les femmes du Burkina ont pu constater après plusieurs
années d’existence de ce ministère que rien n’avait changé dans leur condition.
Et il ne pouvait en être autrement dans la mesure où l’approche de la question
de l’émancipation des femmes qui a conduit à la création d’un tel
ministère-alibi, refusait de voir et de mettre en évidence afin d’en tenir
compte les véritables causes de la domination et de l’exploitation de la femme.
Aussi ne doit-on pas s’étonner que malgré l’existence de ce ministère, la
prostitution se soit développée, que l’accès des femmes à l’éducation et à
l’emploi ne se soit pas amélioré, que les droits civiques et politiques des
femmes soient restés ignorés, que les conditions d’existence des femmes en
ville comme en campagne ne se soient nullement améliorées.
Femme-bijou, femme-alibi politique au gouvernement, femme-sirène
clientéliste aux élections, femme-robot à la cuisine, femme frustrée par la
résignation et les inhibitions imposées malgré son ouverture d’esprit ! Quelle
que soit sa place dans le spectre de la douleur, quelle que soit sa façon
urbaine ou rurale de souffrir, elle souffre toujours.
Mais une seule nuit a porté la femme au cœur de l’essor familial et au
centre de la solidarité nationale.
Porteuse de liberté, l’aurore consécutive du 4 août 1983 lui a fait écho
pour qu’ensemble, égaux, solidaires et complémentaires, nous marchions côte à
côte, en un seul peuple.
La révolution d’août a trouvé la femme burkinabè dans sa condition d’être
assujettie et exploité par une société néo-coloniale fortement influencée par
l’idéologie des forces rétrogrades. Elle se devait de rompre avec la politique
réactionnaire, prônée et suivie jusque-là en matière d’émancipation de la
femme, en définissant de façon claire un politique nouveau, juste et
révolutionnaire.
Notre
révolution et l’émancipation de la femme
Le 2 octobre 1983, le Conseil national de la révolution a clairement énoncé
dans son Discours d’orientation politique l’axe principal du combat de
libération de la femme. Il s’y est engagé à travailler à la mobilisation, à
l’organisation et à l’union de toutes les forces vives de la nation, et de la
femme en particulier. Le Discours d’orientation politique précisait à propos de
la femme : « Elle sera associée dans tous les combats que nous aurons à
entreprendre contre les diverses entraves de la société néo-coloniale et pour
l’édification d’une société nouvelle. Elle sera associée à tous les niveaux de
conception, de décision et d’exécution dans l’organisation de la vie de la
nation tout entière ».
Le but de cette grandiose entreprise, c’est de construire une société libre
et prospère où la femme sera l’égale de l’homme dans tous les domaines. Il ne
peut y avoir de façon plus claire de concevoir et d’énoncer la question de la
femme et la lutte émancipatrice qui nous attend.
« La vraie émancipation de la femme c’est celle qui responsabilise la
femme, qui l’associe aux activités productrices, aux différents combats
auxquels est confronté le peuple. La vraie émancipation de la femme, c’est
celle qui force la considération et le respect de l’homme ».
Cela indique clairement, camarades militantes, que le combat pour la
libération de la femme est avant tout votre combat pour le renforcement de la
Révolution démocratique et populaire. Cette révolution qui vous donne désormais
la parole et le pouvoir de dire et d’agir pour l’édification d’une société de
justice et d’égalité, où la femme et l’homme ont les mêmes droits et les mêmes
devoirs. La Révolution démocratique et populaire a créé les conditions d’un tel
combat libérateur. Il vous appartient désormais d’agir en toute responsabilité
pour, d’une part, briser toutes les chaînes et entraves qui asservissent la
femme dans les sociétés arriérées comme la nôtre, et pour, d’autre part,
assumer la part de responsabilité qui est la vôtre dans la politique
d’édification de la société nouvelle au profit de l’Afrique et au profit de
toute l’humanité.
Aux premières heures de la Révolution démocratique et populaire, nous le
disions déjà : « l’émancipation tout comme la liberté ne s’octroie pas, elle se
conquiert. Et il incombe aux femmes elles-mêmes d’avancer leurs revendications
et de se mobiliser pour les faire aboutir ». Ainsi notre révolution a non
seulement précisé l’objectif à atteindre dans la question de la lutte
d’émancipation de la femme, mais elle a également indiqué ta voie à suivre, les
moyens à mettre en œuvre et les principaux acteurs de ce combat. Voilà bientôt
quatre ans que nous œuvrons ensemble, hommes et femmes, pour remporter des
victoires et avancer vers l’objectif final.
Il nous faut avoir conscience des batailles livrées, des succès remportés,
des échecs subis et des difficultés rencontrées pour davantage préparer et
diriger les futurs combats. Quelle œuvre a été réalisée par la Révolution
démocratique et populaire dans l’émancipation de la femme ?
Quels atouts et quels handicaps ?
L’un des principaux acquis de notre révolution dans la lutte pour
l’émancipation de la femme a été sans conteste la création de l’Union des
femmes du Burkina, (UFB). La création de cette organisation constitue un acquit
majeur parce qu’elle a permis de donner aux femmes de notre pays un cadre et
des moyens sûrs pour victorieusement mener le combat. La création de l’UFB est
une grande victoire parce qu’elle permet le ralliement de l’ensemble des femmes
militantes autour d’objectifs précis, justes, pour le combat libérateur sous la
direction du Conseil national de la révolution. L’UFB est l’organisation des
femmes militantes et responsables, déterminées à travailler pour transformer
[la réalité], à se battre pour gagner, à tomber et retomber, mais à se relever
chaque fois pour avancer sans reculer.
C’est là une conscience nouvelle qui a germé chez les femmes du Burkina, et
nous devons tous en être fiers. Camarades militantes, l’Union des femmes du
Burkina est votre organisation de combat. Il vous appartient de l’affûter
davantage pour que ses coups soient plus tranchants et vous permettent de
remporter toujours et toujours des victoires. Les différentes initiatives que
le Gouvernement a pu entreprendre depuis un peu plus de trois ans pour
l’émancipation de la femme sont certainement insuffisantes, mais elles ont
permis de faire un bout du chemin au point que notre pays peut se présenter
aujourd’hui à l’avant-garde du combat libérateur de la femme. Nos femmes
participent de plus en plus aux prises de décision, à l’exercice effectif du
pouvoir populaire.
Les femmes du Burkina sont partout où se construit le pays, elles sont sur
les chantiers : le Sourou (vallée irriguée), le reboisement, la
vaccination-commando, les opérations « Villes propres », la bataille du rail,
etc. Progressivement, les femmes du Burkina prennent pied et s’imposent,
battant ainsi en brèche toutes les conceptions phallocratiques et passéïstes
des hommes. Et il en sera ainsi jusqu’à ce que la femme au Burkina soit partout
présente dans le tissu social et professionnel. Notre révolution, durant les
trois ans et demi, a œuvré à l’élimination progressive des pratiques
dévalorisantes de la femme, comme la prostitution et les pratiques avoisinantes
comme le vagabondage et la délinquance des jeunes filles, le mariage forcé,
l’excision et les conditions de vie particulièrement difficiles de la femme.
En contribuant à résoudre partout le problème de l’eau, en contribuant
aussi à l’installation des moulins dans les villages, en vulgarisant les foyers
améliorés, en créant des garderies populaires, en pratiquant la vaccination au
quotidien, en incitant à l’alimentation saine, abondante et variée, la
révolution contribue sans nul doute à améliorer les conditions de vie de la
femme burkinabè.
Aussi, celle-ci doit-elle s’engager davantage dans l’application des mots
d’ordre anti-impérialistes, à produire et consommer burkinabè, en s’affirmant
toujours comme un agent économique de premier plan, producteur comme
consommateur des produits locaux.
La révolution d’août a sans doute beaucoup fait pour l’émancipation de la
femme, mais cela est pourtant loin d’être satisfaisant. Il nous reste beaucoup
à faire.
Pour mieux réaliser ce qu’il nous reste à faire, il nous faut d’avantage
être conscients des difficultés à vaincre. Les obstacles et les difficultés
sont nombreux. Et en tout premier lieu l’analphabétisme et le faible niveau de
conscience politique, toutes choses accentuées encore par l’influence trop
grande des forces rétrogrades dans nos sociétés arriérées.
Ces deux principaux obstacles, nous devons travailler avec persévérance à
les vaincre. Car tant que les femmes n’auront pas une conscience claire de la
justesse du combat politique à mener et des moyens à mettre en œuvre, nous
risquons de piétiner et finalement de régresser.
C’est pourquoi, l’Union des femmes du Burkina devra pleinement jouer le
rôle qui est le sien. Les femmes de l’UFB doivent travailler à surmonter leurs
propres insuffisances, à rompre avec les pratiques et le comportement qu’on a
toujours dit propres aux femmes et que malheureusement nous pouvons vérifier
encore chaque jour par les propos et comportements de nombreuses femmes. Il
s’agit de toutes ces mesquineries comme la jalousie, l’exhibitionnisme, les
critiques incessantes et gratuites, négatives et sans principes, le dénigrement
des unes par les autres, le subjectivisme à fleur de peau, les rivalités, etc…
Une femme révolutionnaire doit vaincre de tels comportements qui sont
particulièrement accentués chez celles de la petite-bourgeoisie. Ils sont de
nature à compromettre tout travail de groupe, alors même que le combat pour la
libération de la femme est un travail organisé qui a besoin par conséquent de
la contribution de l’ensemble des femmes.
Ensemble nous devons toujours veiller à l’accès de la femme au travail. Ce
travail émancipateur et libérateur qui garantira à la femme l’indépendance
économique, un plus grand rôle social et une connaissance plus juste et plus
complète du monde.
Notre entendement du pouvoir économique de la femme doit se départir de la
cupidité vulgaire et de la crasse avidité matérialiste qui font de certaines
femmes des bourses de valeurs-spéculatrices, des coffres-forts ambulants. Il
s’agit de ces femmes qui perdent toute dignité, tout contrôle et tout principe
dès lors que le clinquant des bijoux se manifeste ou que le craquant des
billets se fait entendre. De ces femmes, il y en a malheureusement qui
conduisent des hommes aux excès d’endettement, voire de concussion, de
corruption. Ces femmes sont de dangereuses boues gluantes, fétides, qui nuisent
à la flamme révolutionnaire de leurs époux ou compagnons militants. De tristes cas
existent où des ardeurs révolutionnaires ont été éteintes et où l’engagement du
mari a été détourné de la cause du peuple par une femme égoïste et acariâtre,
jalouse et envieuse.
L’éducation et l’émancipation économique, si elles ne sont pas bien comprises
et utilement orientées, peuvent être sources de malheur pour la femme, donc
pour la société. Recherchées comme amantes, épousées pour le meilleur, elles
sont abandonnées dès que survient le pire. Le jugement répandu est impitoyable
pour elles : l’intellectuelle se « place mal » et la richissime est suspecte.
Toutes sont condamnées à un célibat qui ne serait pas grave s’il n’était pas
l’expression même d’un ostracisme diffus de toute une société contre des
personnes, victimes innocentes parce qu’elles ignorent tout de « leur crime et
de leur tare », frustrées parce que chaque jour est un éteignoir à une
affectivité qui se mue en acariâtrie ou en hypocondrie. Chez beaucoup de femmes
le grand savoir a provoqué des déboires et la grande fortune a nourri bien des
infortunes.
La solution à ces paradoxes apparents réside dans la capacité des
malheureuses instruites ou riches à mettre au service de leur peuple leur
grande instruction, leurs grandes richesses. Elles n’en seront que plus
appréciées, voire adulées par tant et tant de personnes à qui elles auront
apporté un peu de joie. Comment alors pourraient-elles se sentir seules dans
ces conditions ? Comment ne pas connaître la plénitude sentimentale lorsque
l’on a su faire de l’amour de soi et de l’amour pour soi, l’amour de l’autre et
l’amour des autres ?
Nos femmes ne doivent pas reculer devant les combats multiformes qui
conduisent une femme à s’assumer pleinement, courageusement et fièrement afin
de vivre le bonheur d’être elle-même, et non pas la domestication d’elle par
lui.
Aujourd’hui encore, et pour beaucoup de nos femmes, s’inscrire sous le
couvert d’un homme demeure le quitus le plus sûr contre le qu’en-dira-t-on
oppressant. Elles se marient sans amour et sans joie de vivre, au seul profit
d’un goujat, d’un falot démarqué de la vie et des luttes du peuple. Bien
souvent, des femmes exigent une indépendance sourcilleuse, réclamant en même
temps d’être protégées, pire, d’être sous le protectorat colonial d’un mâle.
Elles ne croient pas pouvoir vivre autrement.
Non ! il nous faut redire à nos sœurs que le mariage, s’il n’apporte rien à
la société et s’il ne les rend pas heureuses, n’est pas indispensable, et doit
même être évité. Au contraire, montrons-leur chaque jour les exemples de
pionnières hardies et intrépides qui dans leur célibat, avec ou sans enfants,
sont épanouies et radieuses pour elles, débordantes de richesses et de
disponibilité pour les autres. Elles sont même enviées par les mariées
malheureuses pour les sympathies qu’elles soulèvent, le bonheur qu’elles tirent
de leur liberté, de leur dignité et de leur serviabilité.
Les femmes ont suffisamment fait la preuve de leurs capacités à entretenir
une famille, à élever des enfants, à être en un mot responsables sans
l’assujettissement tutélaire d’un homme. La société a suffisamment évolué pour
que cesse le bannissement injuste de la femme sans mari. Révolutionnaires, nous
devons faire en sorte que le mariage soit un choix valorisant et non pas cette
loterie où l’on sait ce que l’on dépense au départ mais rien de ce que l’on va
gagner. Les sentiments sont trop nobles pour tomber sous le coup du ludisme.
Une autre difficulté réside aussi sans aucun doute dans l’attitude féodale,
réactionnaire et passive de nombreux hommes qui continuent de par leur
comportement, à tirer en arrière. Ils n’entendent pas voir remettre en cause
des dominations absolues sur la femme au foyer ou dans la société en général.
Dans le combat pour l’édification de la société nouvelle qui est un combat
révolutionnaire, ces hommes de par leurs pratiques, se placent du côté de la
réaction et de la contre-révolution. Car la révolution ne saurait aboutir sans
l’émancipation véritable des femmes.
Nous devons donc, camarades militantes, avoir clairement conscience de
toutes ces difficultés pour mieux affronter les combats à venir.
La femme tout comme l’homme possède des qualités mais aussi des défauts et
c’est là sans doute la preuve que la femme est l’égale de l’homme. En mettant
délibérément l’accent sur les qualités de la femme, nous n’avons pas d’elle une
vision idéaliste. Nous tenons simplement à mettre en relief ses qualités et ses
compétences que l’homme et la société ont toujours occultées pour justifier
l’exploitation et la domination de la femme.
Comment allons-nous nous organiser pour accélérer la marche en avant vers
l’émancipation ?
Nos moyens sont dérisoires, mais notre ambition, elle, est grande. Notre
volonté et notre conviction fermes d’aller de l’avant ne suffisent pas pour
réaliser notre pari. II nous faut rassembler nos forces, toutes nos forces, les
agencer, les coordonner dans le sens du succès de notre lutte. Depuis plus de
deux décennies l’on a beaucoup parlé d’émancipation dans notre pays, l’on s’est
beaucoup ému. II s’agit aujourd’hui d’aborder la question de l’émancipation de
façon globale, en évitant les fuites des responsabilités qui ont conduit à ne
pas engager toutes les forces dans la lutte et à faire de cette question
centrale une question marginale, en évitant également les fuites en avant qui
laisseraient loin derrière, ceux et surtout celles qui doivent tue en première
ligne.
Au niveau gouvernemental, guidé par les directives du Conseil national de
la révolution, un Plan d’action cohérent en faveur des femmes, impliquant
l’ensemble des départements ministériels, sera mis en place afin de situer les
responsabilités de chacun dans des missions à court et moyen termes. Ce plan
d’action, loin d’être un catalogue de vœux pieux et autres apitoiements devra
être le fil directeur de l’intensification de l’action révolutionnaire. C’est
dans le feu de la lutte que les victoires importantes et décisives seront
remportées.
Ce plan d’action devra être conçu par nous et pour nous. De nos larges et
démocratiques débats devront sortir les audacieuses résolutions pour réaliser
notre foi en la femme. Que veulent les hommes et les femmes pour les femmes ?
C’est ce que nous dirons dans notre Plan d’action.
Le Plan d’action, de par l’implication de tous les départements
ministériels, se démarquera résolument de l’attitude qui consiste à
marginaliser la question de la femme et à déresponsabiliser des responsables
qui, dans leurs actions quotidiennes, auraient dû et auraient pu contribuer de
façon significative à la résolution de la question. Cette nouvelle approche
multidimensionnelle de la question de la femme découle de notre analyse
scientifique, de son origine, de ses causes et de son importance dans le cadre
de notre projet d’une société nouvelle, débarrassée de toutes formes
d’exploitation et d’oppression. II ne s’agit point ici d’implorer la
condescendance de qui que ce soit en faveur de la femme. II s’agit d’exiger au
nom de la révolution qui est venue pour donner et non pour prendre, que justice
soit faite aux femmes.
Désormais l’action de chaque ministère, de chaque comité d’administration
ministériel sera jugée en fonction des résultats atteints dans le cadre de la
mise en œuvre du Plan d’action, au-delà des résultats globaux usuels. À cet
effet, les résultats statistiques comporteront nécessairement la part de l’action
entreprise qui a bénéficié aux femmes ou qui les a concernées. La question de
la femme devra être présente à l’esprit de tous les décideurs à tout instant, à
toutes les phases de la conception, de l’exécution des actions de
développement. Car concevoir un projet de développement sans la participation
de la femme, c’est ne se servir que de quatre doigts, quand on en a dix. C’est
donc courir à l’échec.
Au niveau des ministères chargés de l’éducation, on veillera tout
particulièrement à ce que l’accès des femmes à l’éducation soit une réalité,
cette réalité qui constituera un pas qualitatif vers l’émancipation. Tant il
est vrai que partout où les femmes ont accès à l’éducation, la marche vers
l’émancipation s’est trouvée accélérée. La sortie de la nuit de l’ignorance
permet en effet aux femmes d’exprimer, et d’utiliser les armes du savoir, pour
se mettre à la disposition de la société. Du Burkina Faso, devraient
disparaître toutes les formes ridicules et rétrogrades qui faisaient que seule
la scolarisation des garçons était perçue comme importante et rentable, alors
que celle de la fille n’était qu’une prodigalité.
L’attention des parents pour les filles à l’école devra être égale à celle
accordée aux garçons qui font toute leur fierté. Car, non seulement les femmes
ont prouvé qu’elles étaient égales à l’homme à l’école quand elles n’étaient
pas tout simplement meilleures, mais surtout elles ont droit à l’école pour
apprendre et savoir, pour être libres.
Dans les futures campagnes d’alphabétisation, les taux de participation des
femmes devront être relevés pour correspondre à leur importance numérique dans
la population, car ce serait une trop grande injustice que de maintenir une si
importante fraction de la population, la moitié de celle-ci, dans l’ignorance.
Au niveau des ministères chargés du travail et de la justice, les textes
devront s’adapter constamment à la mutation que connaît notre société depuis le
4 août 1983, afin que l’égalité en droits entre l’homme et la femme soit une
réalité tangible. Le nouveau code du travail, en cours de confection et de
débat devra être l’expression des aspirations profondes de notre peuple à la
justice sociale et marquer une étape importante dans l’œuvre de destruction de
l’appareil néo-colonial. Un appareil de classe, qui a été façonné et modelé par
les régimes réactionnaires pour pérenniser le système d’oppression des masses
populaires et notamment des femmes. Comment pouvons-nous continuer d’admettre
qu’à travail égal, la femme gagne moins que l’homme ? Pouvons-nous admettre le
lévirat et la dot réduisant nos sœurs et nos mères au statut de biens vulgaires
qui font l’objet de tractations ? II y a tant et tant de choses que les lois
moyenâgeuses continuent encore d’imposer à notre peuple, aux femmes de notre
peuple. C’est juste, qu’enfin, justice soit rendue.
Au niveau des ministères chargés de la culture et de la famille, un accent
particulier sera mis sur l’avènement d’une mentalité nouvelle dans les rapports
sociaux, en collaboration étroite avec l’Union des femmes du Burkina. La mère
et l’épouse sous la révolution ont des rôles spécifiques importants à jouer
dans le cadre des transformations révolutionnaires. L’éducation des enfants, la
gestion correcte des budgets familiaux, la pratique de la planification
familiale, la création d’une ambiance familiale, le patriotisme sont autant
d’atouts importants devant contribuer efficacement à la naissance d’une morale
révolutionnaire et d’un style de vie anti-impérialiste, prélude à une société
nouvelle.
La femme, dans son foyer, devra mettre un soin particulier à participer à
la progression de la qualité de la vie. En tant que Burkinabé, bien vivre,
c’est bien se nourrir, c’est bien s’habiller avec les produits burkinabé. II
s’agira d’entretenir un cadre de vie propre et agréable car l’impact de ce
cadre sur les rapports entre les membres d’une même famille est très important.
Un cadre de vie sale et vilain engendre des rapports de même nature. II n’y a
qu’à observer les porcs pour s’en convaincre.
Et puis la transformation des mentalités serait incomplète si la femme de
type nouveau devait vivre avec un homme de type ancien. Le réel complexe de
supériorité des hommes sur les femmes, où est-il le plus pernicieux mais le
plus déterminant si ce n’est dans le foyer où la mère, complice et coupable,
organise sa progéniture d’après des règles sexistes inégalitaires ? Ce sont les
femmes qui perpétuent le complexe des sexes, dès les débuts de l’éducation et
de la formation du caractère.
Par ailleurs à quoi servirait notre activisme pour mobiliser le jour un
militant si la nuit, le néophyte devait se retrouver aux côtés d’une femme
réactionnaire démobilisatrice !
Que dire des tâches de ménage, absorbantes et abrutissantes, qui tendent à
la robotisation et ne laissent aucun répit pour la réflexion !
C’est pourquoi, des actions doivent être résolument entreprises en
direction des hommes et dans le sens de la mise en place, à grande échelle,
d’infrastructures sociales telles que les crèches, les garderies populaires, et
les cantines. Elles permettront aux femmes de participer plus facilement au
débat révolutionnaire, à l’action révolutionnaire.
L’enfant qui est rejeté comme le raté de sa mère ou monopolisé comme la
fierté de son père devra être une préoccupation pour toute la société et
bénéficier de son attention et de son affection.
L’homme et la femme au foyer se partageront désormais toutes les tâches du
foyer.
Le Plan d’action en faveur des femmes devra être un outil révolutionnaire
pour la mobilisation générale de toutes les structures politiques et
administratives dans le processus de libération de la femme.
Camarades militantes, je vous le répète, afin qu’il corresponde aux besoins
réels des femmes, ce plan fera l’objet de débats démocratiques au niveau de
toutes les structures de l’UFB.
L’UFB est une organisation révolutionnaire. À ce titre, elle est une école
de démocratie populaire régie par les principes organisationnels que sont la
critique et l’autocritique, le centralisme démocratique. Elle entend se
démarquer des organisations où la mystification a pris le pas sur les objectifs
réels. Mais cette démarcation ne sera effective et permanente que si les
militantes de l’UFB engagent une lutte résolue contre les tares qui persistent
encore, hélas, dans certains milieux féminins. Car il ne s’agit point de
rassembler des femmes pour la galerie ou pour d’autres arrière-pensées
démagogiques électoralistes ou simplement coupables.
II s’agit de rassembler des combattantes pour gagner des victoires ; il
s’agit de se battre en ordre et autour des programmes d’activités arrêtés
démocratiquement au sein de leurs comités dans le cadre de l’exercice bien
compris de l’autonomie organisationnelle propre à chaque structure
révolutionnaire. Chaque responsable UFB devra être imprégnée de son rôle, dans
sa structure, afin de pouvoir être efficace dans l’action. Cela impose à
l’Union des femmes du Burkina d’engager de vastes campagnes d’éducation
politique et idéologique de ses responsables, pour le renforcement sur le plan
organisationnel des structures de l’UFB à tous les niveaux.
Camarades militantes de l’UFB, votre union, notre union, doit participer
pleinement à la lutte des classes aux côtés des masses populaires. Les millions
de consciences endormies, qui se sont réveillées à l’avènement de la révolution
représentent une force puissante. Nous avons choisi au Burkina Faso, le 4 août
1983, de compter sur nos propres forces, c’est-à-dire en grande partie sur la
force que vous représentez, vous les femmes. Vos énergies doivent, pour être
utiles, être toutes conjuguées dans le sens de la liquidation des races des
exploiteurs, de la domination économique de l’impérialisme.
En tant que structure de mobilisation, l’UFB devra forger au niveau des
militantes une conscience politique aiguë pour un engagement révolutionnaire
total dans l’accomplissement des différentes actions entreprises par le
gouvernement pour l’amélioration des conditions de la femme. Camarades de
l’UFB, ce sont les transformations révolutionnaires qui vont créer les
conditions favorables à votre libération. Vous êtes doublement dominées par
l’impérialisme et par l’homme. En chaque homme somnole un féodal, un
phallocrate qu’il faut détruire. Aussi, est-ce avec empressement que vous devez
adhérer aux mots d’ordre révolutionnaires les plus avancés pour en accélérer la
concrétisation et avancer encore plus vite vers l’émancipation. C’est pourquoi,
le Conseil national de la révolution note avec joie votre participation intense
à tous les grands chantiers nationaux et vous incite à aller encore plus loin pour
un soutien toujours plus grand, à la révolution d’août qui est avant tout la
vôtre.
En participant massivement aux grands chantiers, vous vous montrez d’autant
plus méritantes que l’on a toujours voulu, à travers la répartition des tâches
au niveau de la société, vous confiner dans des activités secondaires. Alors
que votre apparente faiblesse physique n’est rien d’autre que la conséquence
des normes de coquetterie et de goût que cette même société vous impose parce
que vous êtes des femmes.
Chemin faisant, notre société doit se départir des conceptions féodales qui
font que la femme non mariée est mise au ban de la société, sans que nous ne
percevions clairement que cela est la traduction de la relation d’appropriation
qui veut que chaque femme soit la propriété d’un homme. C’est ainsi que l’on
méprise les filles-mères comme si elles étaient les seules responsables de leur
situation, alors qu’il y a toujours un homme coupable. C’est ainsi que les
femmes qui n’ont pas d’enfants, sont opprimées du fait de croyances surannées
alors que cela s’explique scientifiquement et peut être vaincu par la science.
La société a par ailleurs imposé aux femmes des canons de coquetterie qui
portent préjudice à son intégrité physique : l’excision, les scarifications,
les taillages de dents, les perforations des lèvres et du nez. L’application de
ces normes de coquetterie reste d’un intérêt douteux. Elle compromet même la
capacité de la femme à procréer et sa vie affective dans le cas de l’excision.
D’autres types de mutilations, pour moins dangereuses qu’elles soient, comme le
perçage des oreilles et le tatouage n’en sont pas moins une expression du
conditionnement de la femme, conditionnement imposé à elle par la société pour
pouvoir prétendre à un mari.
Camarades militantes, vous vous soignez pour mériter un homme. Vous vous
percez les oreilles, et vous vous labourez le corps pour être acceptées par des
hommes. Vous vous faites mal pour que le mâle vous fasse encore plus mal !
Femmes, mes camarades de luttes, c’est à vous que je parle : vous qui êtes
malheureuses en ville comme en campagne, vous qui ployez sous le poids des
fardeaux divers de l’exploitation ignoble, « justifiée et expliquée » en
campagne ; vous qui, en ville, êtes sensées être des femmes heureuses, mais qui
êtes au fond tous les jours des femmes malheureuses, accablées de charges, parce que, tôt levée la femme tourne en toupie devant
sa garde-robe se demandant quoi porter, non pour se vêtir, non pour se couvrir
contre les intempéries mais surtout, quoi porter, pour plaire aux hommes, car
elle est tenue, elle est obligée de chercher à plaire aux hommes chaque jour ;
vous les femmes à l’heure du repos, qui vivez la triste attitude de celle qui
n’a pas droit à tous les repos, celle qui est obligée de se rationner, de
s’imposer la continence et l’abstinence pour maintenir un corps conforme à la
ligne que désirent les hommes ; vous le soir, avant de vous coucher,
recouvertes et maquillées sous le poids de ces nombreux produits que vous
détestez tant nous le savons mais qui ont pour but de cacher une ride
indiscrète, malencontreuse, toujours jugée précoce, un âge qui commence à se
manifester, un embonpoint qui est trop tôt venu ; Vous voilà chaque soir
obligées de vous imposer une ou deux heures de rituel pour préserver un atout,
mal récompensé d’ailleurs par un mari inattentif, et pour le lendemain
recommencer à peine à l’aube.
Camarades militantes, hier à travers les discours, par la Direction de la
mobilisation et l’organisation des femmes (DMOF) et en application du statut
général des CDR, le Secrétariat général national des CDR a entrepris avec
succès la mise en place des comités, des sous-sections et des sections de
l’Union des femmes du Burkina.
Le Commissariat politique chargé de l’organisation et de la planification
aura la mission de parachever votre pyramide organisationnelle par la mise en
place du Bureau national de l’UFB. Nous n’avons pas besoin d’administration au
féminin pour gérer bureaucratiquement la vie des femmes ni pour parler
sporadiquement en fonctionnaire cauteleux de la vie des femmes. Nous avons
besoin de celles qui se battront parce qu’elles savent que sans bataille, il
n’y aura pas de destruction de l’ordre ancien et construction de l’ordre
nouveau. Nous ne cherchons pas à organiser ce qui existe, mais bel et bien à le
détruire, à le remplacer.
Le Bureau national de l’UFB devra être constitué de militantes convaincues
et déterminées dont la disponibilité ne devra jamais faire défaut, tant l’œuvre
à entreprendre est grande. Et la lutte commence dans le foyer. Ces militantes
devront avoir conscience qu’elles représentent aux yeux des masses l’image de
la femme révolutionnaire émancipée, et elles devront se comporter en
conséquence.
Camarades militantes, camarades militants, en changeant l’ordre classique
des choses, l’expérience fait de plus en plus la preuve que seul le peuple
organisé est capable d’exercer le pouvoir démocratiquement.
La justice et l’égalité qui en sont les principes de base permettent à la
femme de démontrer que les sociétés ont tort de ne pas lui faire confiance au
plan politique comme au plan économique. Ainsi la femme exerçant le pouvoir
dont elle s’est emparée au sein du peuple est à même de réhabiliter toutes les
femmes condamnées par l’histoire.
Notre révolution entreprend un changement qualitatif, profond de notre
société. Ce changement doit nécessairement prendre en compte les aspirations de
la femme burkinabè. La libération de la femme est une exigence du futur, et le
futur, camarades, est partout porteur de révolutions. Si nous perdons le combat
pour la libération de la femme, nous aurons perdu tout droit d’espérer une
transformation positive supérieure de la société. Notre révolution n’aura donc
plus de sens. Et c’est à ce noble combat que nous sommes tous conviés, hommes
et femmes.
Que nos femmes montent alors en première ligne ! C’est essentiellement de
leur capacité, de leur sagacité à lutter et de leur détermination à vaincre,
que dépendra la victoire finale. Que chaque femme sache entraîner un homme pour
atteindre les cimes de la plénitude. Et pour cela que chacune de nos femmes
puisse dans l’immensité de ses trésors d’affection et d’amour trouver la force
et le savoir-faire pour nous encourager quand nous avançons et nous redonner du
dynamisme quand nous flanchons. Que chaque femme conseille un homme, que chaque
femme se comporte en mère auprès de chaque homme. Vous nous avez mis au monde,
vous nous avez éduqués et vous avez fait de nous des hommes.
Que chaque femme, vous nous avez guidés jusqu’au jour où nous sommes continue
d’exercer et d’appliquer son rôle de mère, son rôle de guide. Que la femme se
souvienne de ce qu’elle peut faire, que chaque femme se souvienne qu’elle est
le centre de la terre, que chaque femme se souvienne qu’elle est dans le monde
et pour le monde, que chaque femme se souvienne que la première à pleurer pour
un homme, c’est une femme. On dit, et vous le retiendrez, camarades, qu’au
moment de mourir, chaque homme interpelle, avec ses derniers soupirs, une femme
: sa mère, sa sœur, ou sa compagne.
Les femmes ont besoin des hommes pour vaincre. Et les hommes ont besoin des
victoires des femmes pour vaincre. Car, camarades femmes, aux côtés de chaque
homme, il y a toujours une femme. Cette main de la femme qui a bercé le petit
de l’homme, c’est cette même main qui bercera le monde entier.
Nos mères nous donnent la vie. Nos femmes mettent au monde nos enfants, les
nourrissent à leurs seins, les élèvent et en font des êtres responsables.
Les femmes assurent la permanence de notre peuple, les femmes assurent le
devenir de l’humanité ; les femmes assurent la continuation de notre œuvre ;
les femmes assurent la fierté de chaque homme.
Mères, sœurs, compagnes,
II n’y a point d’homme fier tant qu’il n’y a point de femme à côté de lui.
Tout homme fier, tout homme fort, puise ses énergies auprès d’une femme ; la
source intarissable de la virilité, c’est la féminité. La source intarissable,
la clé des victoires se trouvent toujours entre les mains de la femme. C’est
auprès de la femme, sœur ou compagne que chacun de nous retrouve le sursaut de
l’honneur et de la dignité.
C’est toujours auprès d’une femme que chacun de nous retourne pour chercher
et rechercher la consolation, le courage, l’inspiration pour oser repartir au
combat, pour recevoir le conseil qui tempérera des témérités, une
irresponsabilité présomptueuse. C’est toujours auprès d’une femme que nous
redevenons des hommes, et chaque homme est un enfant pour chaque femme. Celui
qui n’aime pas la femme, celui qui ne respecte pas la femme, celui qui n’honore
pas la femme, a méprisé sa propre mère. Par conséquent, celui qui méprise la
femme méprise et détruit le lieu focal d’où il est issu, c’est-à-dire qu’il se
suicide lui-même parce qu’il estime n’avoir pas de raison d’exister, d’être
sorti du sein généreux d’une femme.
Camarades, malheur à ceux qui méprisent les femmes ! Ainsi à tous les
hommes d’ici et d’ailleurs, à tous les hommes de toutes conditions, de quelque
case qu’ils soient, qui méprisent la femme, qui ignorent et oublient ce qu’est
la femme, je dis : « Vous avez frappé un roc, vous serez écrasés ».
Camarades, aucune révolution, et à commencer par notre révolution, ne sera
victorieuse tant que les femmes ne seront pas d’abord libérées. Notre lutte,
notre révolution sera inachevée tant que nous comprendrons la libération comme
celle essentiellement des hommes. Après la libération du prolétaire, il reste
la libération de la femme. Camarades, toute femme est la mère d’un homme. Je
m’en voudrais en tant qu’homme, en tant que fils, de conseiller et d’indiquer
la voie à une femme. La prétention serait de vouloir conseiller sa mère. Mais
nous savons aussi que l’indulgence et l’affection de la mère, c’est d’écouter
son enfant, même dans les caprices de celui-ci, dans ses rêves, dans ses
vanités. Et c’est ce qui me console et m’autorise à m’adresser à vous.
C’est pourquoi, Camarades, nous avons besoin de vous pour une véritable
libération de nous tous. Je sais que vous trouverez toujours la force et le
temps de nous aider à sauver notre société.
Camarades, il n’y a de révolution sociale véritable que lorsque la femme
est libérée. Que jamais mes yeux ne voient une société, que jamais, mes pas ne
me transportent dans une société où la moitié du peuple est maintenue dans le
silence. J’entends le vacarme de ce silence des femmes, je pressens le
grondement de leur bourrasque, je sens la furie de leur révolte. J’attends et
espère l’irruption féconde de la révolution dont elles traduiront la force et
la rigoureuse justesse sorties de leurs entrailles d’opprimées.
Camarades, en avant pour la conquête du futur ; Le futur est
révolutionnaire ; Le futur appartient à ceux qui luttent.
La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »
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